Tout émoustillé et avec comme prétexte de ramener des souliers remis à neuf, il osa s'enhardir jusqu'à la maison de celle qu'il appelait sa " bien-aimée ", son " adorée ". De plus, il rechaussa, à ses frais, toute la famille. Bien plus encore, il fabriqua pour l'élue de son coeur des souliers ornés de décorations et de découpes, pareils à ceux dont Cendrillon était chaussée le jour où elle rencontra le Prince Charmant. Les souliers étaient tellement beaux que toutes les femmes de Bâclin étaient jalouses de la chance de la demoiselle.Mais toutes les manières de ce prétendant n'étaient pas vues d'un bon oeil par les parents ni même par la jeune fille. On chercha donc un moyen de se débarrasser du lutin sans qu'il s'en rende compte, sans trop le secouer car on connaissait les mystérieux pouvoirs de ces drôles de personnages, mi-Dieu, mi-Diable et on avait une peur terrible de leur vengeance.Pour trouver remède à cette situation, on alla prendre conseil auprès d'un berger. Les vieux bergers d'Ardenne connaissent beaucoup de choses sur toutes sortes d'histoires. Ils vivent en pleine nature en accord avec les forces de l'air, des forêts, de la terre et de l'eau. Ils possèdent les mots qu'il faut dire et les secrets reçus de leurs ancêtres. La preuve : on les appelle " Les biens-aimés sorciers ".Le berger consulté conseilla de placer des charbons ardents tout autour de l'âtre de la cheminée et également de mettre partout des coquilles d'oeuf remplies de pain trempé dans du lait tourné, des pommes de terre cuites sous la cendre et du chou au lard.Notre jeune courtisant, dans ses plus beaux habits de dimanche, se présentât avec l'idée de faire sa demande. A peine passé la porte, il se rendit compte de la manière étonnante et déplaisante dont le ménage était arrangé et il comprit vite le pourquoi de tout cela. Il se mit dans une colère épouvantable et cracha son venin en disant " Mes visites ne vous conviennent pas ? D'accord, vous ne me verrez jamais plus, mais vous garderez souvenir de moi. Vos bonheurs sont venus tout doucement, mais vos malheurs viendront à toutes jambes". Et il claqua la porte. Tout étourdies et tremblantes de peur, la mère et la fille auraient bien voulu courir après le lutin pour le ramener à la maison et le consoler, mais le père les en empêcha.A partir de ce jour on ne vit plus aucun Massotê à Bâclin.Peu de temps après, les misères arrivèrent de tous côtés : les vaches avortèrent, les cochons attrapèrent le feu de Saint-Antoine, les récoltes furent grêlées et le père se cassa une jambe. Il ne fallut pas longtemps pour que toute la famille et tout le village se retrouve dans la guigne la plus totale.Heureusement qu'aujourd'hui, il n'y a plus que les légendes qui restent dans les mémoires des habitants du village...